Sad saturdays novels (2003 )
Rentrant des courses, par cette après midi tardive qui précède l’ennui dominical, mon seul bras valide accroché à un sac rempli de mauvaises bières et de saucisses molles, je croise malgré moi, sur le trottoir mouillé, un de ces jeunes couples qui vient sans doute d’emménager, et respire encore l’innocence et la fadeur de ces adultes pubères, occupant leurs week-ends, à chiner chez Castorama. C’est dans ces 26 mètres carrés, que leur a loué un agent véreux, à l’affût de ces nouveaux couples, qui légitiment leur amour en jouant à la dînette – avec de la vaisselle chinoise trouvée en solde dans une brocante de banlieue, un de ces week-end merdique où l’ennui s’occupe méthodiquement… que leur amour a trouvé place. Lui, vêtue d’un large pantalon de toile américaine à la juste couleur militaire; elle, en midinette charmante et gentille, se coiffe d’une courte robe au large décolleté, qui plonge dans l’inappétence des victimes de la mode. Sous le crachin d’un mois d’Août qui avoue son échec, ils rentrent d’une éprouvante mais néanmoins nécessaire excursion du BHV. Encombré de sacs et de pots de fleurs en plastique, le jeune homme trahi son émotion par ces gouttes de sueur amoureuse qui perlent à ces tempes rougissantes. La fatigue, moins que la gène se lit sur son visage, mais la grâce et la légèreté de son amie le contraint à soutenir ce regard attentif et complaisant du devoir accompli. Ils sont beaux, ils sont jeunes; pour un peu touchant; mais à l’abord de ma porte cochère, la souris, d’une voix flûte, lâche comme une bombe un de ces: “ Je vais acheter du melon pour ce soir. “ Des images en cascades se dégrafent de ma mémoire et viennent se briser par centaines. Je rentre de plus belle, dans le hall vert bouteille de mon immeuble, à jamais anéanti par cette image idyllique d’un piètre repas, ou l’impuissance et la futilité se retrouvent au coin de la table pour découper en deux un melon fade et jamais assez mûr.
L’appartement est grand en fermant les yeux.
La fenêtre ouverte et l’oreille attentive, j’amène le brouhaha des embouteillages de l’avenue d’Italie jusques à mon lit. Mes tympans se dressent tel un chien curieux qui guette l’arrivée de son maître, et poussant plus loin que le périphérique, j’aperçois la marée montante de mes délires marins. Sous la douche, l’eau claire est portée au savon. La bulle, épaisse, imite; la bise absente, le phare éteint, je contemple les cheveux au bac, ma paire de 44. J’approche une serviette éponge… moisissure de tissus bleu et râle de chaussette éprouvées sont les compagnons de mon ivresse saline, passée sous le méridien électrique de ma salle de bain.
La pleine est froide et ma Traban s’esquinte. C’est un groupe de personnes que j’aperçois au loin, par delà les fourrés, qu’une rivière ceinture.
Parc Montsouris, mes langueurs digestives promènent le menu express du Chinois de l’avenue Reille. C’est un lundi blanc d’hiver; un de ces longs et douloureux lundi froid, où la matinée, qui pourtant proche de la tombée du jour, n’arrive pas à poursuivre son tour de cadran, tant le ciel “ bas et lourd “ avoue son échec dès la première heure. Un lundi de février, où l’avenue des Champs-Elysées ressemblerait à un boulevard Transsibérien après le passage d’un blizzard atomique, et les oiseaux du jardin des plantes, à des pierres fossilisées.
Pas un maître qui ne court après son chien, pas un canard à l’affût d’un boa, ni de lièvres aux fourrés. L’ennui dominical à cédé sa place à la mort du lundi; et la morne course d’enfants à vélo, à la patinoire glacée d’un premier jour de la semaine plus gris qu’un poney mort.
La poste centrale; vitres et béton d’entre deux guerres, style année trente, art déco sans doute. D’en haut de l’escalier, une cloche, qui semble être de la même époque, m’ouvre la porte en me saluant d’ un “ Monsieur ” , maladroitement dissimulé derrière son vent tannique. Sa main, tel un gant fané, s’accroche à la poignée de bronze lustré de la porte d’entrée…Agent d’accueil et photocopieuse en panne semblent entretenir une étroite collaboration, ce en quoi je ne m’autorise qu’au plaisir risqué du carnet de dix timbres au distributeur automatique, celui-là jaune, couleur “ la poste “, qui semble d’autant plus désolé de par sa vétusté, qu’il est le seul en état de marche. Un vieillard au caddy chargé moins que l’haleine de mon portier, sollicite alors la bienveillance de l’agent d’accueil, en s’attachant à lui décrire le contenu de sa hotte à roulette. celui feignant la surprise moins que l’ennui ou la gène de son réveil brutal signifie son intérêt par un léger hochement de tête pour
acquiescer aux dires de l’octogénaire, qui, après avoir appâter son homme par la description minutieuse de ses achats, en profite pour lui glisser insidieusement à l’oreille le menu du soir : une omelette aux pommes de terre, pour Madame … !
Mon carnet de dix timbres ne tardant pas à venir, je m’empresse de le récupérer afin d’affréter mon pli d’une vingtaine de grammes, et de bénéficier de la dernière levée pour la province, préférant l’urgence de ma correspondance au fromage ou dessert des mes aïeux.
Le métro arrive à Kléber sans frémir; là, où la halte soudaine et répétitive de ce long taxi prend le temps de prendre à son bord, quatre ou cinq clients potentiels s’en allant vaquer à d’hypothétiques labeurs administratifs, dans les hautes sphères du KGB mondain. Ces crapules au blason rapiécé montent avec un vague à l’âme, proche de l’ennui à dix huit trous, non sans laisser épancher de leur trois pièces une mélancolie Bon Marché, tel un spleen en souvenance d’une première classe déchue par la force de l’inappétence bourgeoise et de l’abandon de cette catégorie qui peine à faire semblant d’aller travailler. Souvent debouts, jamais assis, laissant le siège et les vieux chew-gums à d’autres touristes. Ceux là même, dans la position la plus humaine, sinon stupide d’aller scruter par la fenêtre les monuments aux morts…deux japonaises
averties, venues coller leurs huit jours de congés annuels sur un vieux strapontin du métropolitain. Deux poupées blanches à la sombre perruque. Soeurs de l’avenue Montaigne, siamoises en carte Américaine, à peine sortie d’un fast-food, d’un Parthénon ou d’un Zara, guignant vers l’érection Parisienne d’un phallus rouillé, elles se complimentent du bout des lèvres, les paquets sur les genoux, le regard en coin. Charles de Gaulles Etoile, mes silencieuses icônes se rajustent à l’annonce de la station ; les femmes et les enfants d’abord, l’une d’elle laisse échapper un regard furtif en ma direction, dans le branle bas des banquettes à ressorts. Bleue anthracite, noire et lazuli, sa lentille est un diable à mon épice et son pedigree un leurre à tous novices. Flash et quicksnap enroués, je sors de la rame, saoulé par la vague artifice et le tsunami de son klein d’oeil. L’arc de triomphe écarte les bras…..
Tannanarive est une planète jeune, qui a su conserver ces 35 ans de jeunesse; là, où mon paternel avait ses vingt ans, et l’avenir au bout de la seringue, étant donné son grade inaliénable de consultant infirmier dans les territoires d’outre mers…
Ci-joint une photo témoignant de l’hardiesse avec laquelle il piquait ces congénères, acquits au cours d’une longue et douloureuse nuit passée au bord du calice éthéré d’un vidal, et d’un bac à bière oublié par les nazis durant la mousson d’octobre quarante deux. L’un rock à billy, l’autre écrit en Chevreuses à sa mère…Images en black and white surexposées sur des capots de 403 décapotées…La banane étant le dernier fruit autorisé dans l’hémisphère hexagonal, l’on pu voir naître en régime d’Elvis des expatriés plus ravis que la chair à canon, et d’autres décrets moins chantants qu’un Tédéum… Soixante deux; l’Alsace rappelle son enfant, et mon géniteur tel un diable la queue basse, s’en va retourner aux fourneaux d’une Moselle incertaine, oubliant contre son gré les D.S avortées et la poussière des grenades.
– Excusez-moi, pouvez-vous m’indiquer le boulevard Arago s’il vous plaît ?
Je restais un moment coua sur le boulevard, réfléchissant à la question de ce passant perdu. Le ciel était noir, la pluie sur le trottoir; les voitures filaient loin des bureaux, je rentrais chez moi, et l’énigme que me posa ce touriste à l’accent outre-Rhin m’interdit de parole au moins quelques instants. Ce boulevard Arago, que j’arpentais depuis vingt cinq ans et qui se perdait entre les treize et quatorzième arrondissements tel un poireaux d’empire me laissa sombre et muet. Connaissais-je ce Boulevard Arago, certes oui; mais pouvais-je lui en indiquer la direction ? A la question de mon quidam, je ne su que répondre; et c’est dans cet état las et stupide de l’interlocuteur qui réfléchit davantage à la question qui lui a été posé qu’à sa future réponse, que nous demeurâmes tous deux, à la lueur glauque d’un lampadaire de carrefour, sans savoir qui de nous avait posé sa question ou attendait la réponse. Il ne semblait pas y avoir de piège ni de Sphinx au détour de sa phrase, mais la probabilité de ma réponse m’interrogea sinon sur ma volonté du moins sur ma capacité à répondre. La pluie fine accélérait sa marche muette, le soir nous tournait le dos, comme gênée par la situation grotesque de nos pingouins trempés. Le boulevard Arago, le boulevard Arago … je ressassais dans mon crâne ce nom composé quand la soudaineté de l’impuissance de ma réponse me plongea dans son regard bleu rougissant, un bleu tendre et marbré de veinules fatiguées tant le stress généré par le suspense de mon hypothétique révélation balistique avait affaiblit sa résistance et son nerf optique. Après nous être ainsi séparés, non loin de l’incident plus haut mentionné, résumé à quelques pas sinon à deux trottoirs, je le vis droit devant moi avec ces huit cent mètres de marronniers, l’ Arago fourbe de l’ agora perdue; et me retournant sur la première ligne, je l’aperçu, sous les feux des voitures, s’empressant d’aller demander aux prochains piétons le chemin de sa raison.
Le couloir de l’immeuble sent l’after shave du vendredi soir, le déodorant du quadra sport, s’en allant au supermarché de la chair, sans trop y croire mais avec ce crédit d’hygiène génital poussé jusques aux poils du nez. La chemise évitera les rayures et l’haleine le pot de départ d’entre collègues. Décontracté du gland , les mains dans les poches de son Loden; tel un jeune prof au sortir d’un cours de littérature comparée nocturne, il arpente les quelques mètres qui le sépare de l’ascenseur, insistant du pas sur le lyno du couloir. Sa chevelure est lisse et bouclée, au prise de la bise hivernale d’un treizième arrondissement. Ce soir, il prendra le bus..
Elles sont assises en rond, en cercle et en rang de blondes, les chiennes de la beauté téléphonée, avec chacune un oeil à la mire pour mieux ravir à l’autre la détresse d’un Rimmel coulant; elles se jugent et se jaugent, non loin du bar astiqué où se tient la douzaine de tabourets coiffés de coqs en patte. Oeil de lynx au profil d’aigle latin, la ténébreuse horde se fait l’échos du râle incessant de ces banquettes décolorées; sirotant des cocktails gazeux, là où l’arrogance dissimule mal son impatience et le sourire son fouet, les ambassadeurs du sexe feignent l’ignorance quand les chattes rougissantes se font pudibondes.
Elle avance, grasse et bruyante, et cependant incertaine…Obligée comme par principe à suivre poliment la suite des événements dont l’issue probable et téléphonée sonne de manière sourde et répétée à l’oreille de son acteur …. Soumise et ronsifflonante, elle meut sa triste chair dans le couloir de l’ennui, accompagnant sa morne béatitude de ce brouaa témoin de lui même…docile et menée par le bout du nez, elle avance, grasse et bruyante, longue et douloureuse et cependant incertaine,
la queue, aux caisses des supermarché….
Avenue de la Sibelle, on réhabilite les quartiers vagues des anciens bassins d’eaux du Montsouris. Pavés neufs taillés au laser, arbres nains castrés et fenêtres PVC parlent sans conteste de ce même et nouveau quartier. Je viens d’assister au premier baiser d’ados. Ils restent entre sept et huit secondes collés, bouche contre bouche, maladresse contre timidité. Il lui prend cependant la tête entre les mains, tel un forgeron qui n’a jamais tenu de cruche… Après le garçon se retire; je veux dire qu’il esquisse un demi pas en arrière, et croise les bras d’un air fier et entendue, alors qu’il ignore tout du nouveau trois lames de Gillette. La fille repart comme gênée d’une nouvelle et première rupture vers ces amies du même sexe, tandis qu’un demi gros vautré sur un banc et les genoux d’une blonde, discours sans l’ombre d’aucune libido pubère sur les derniers vélos cross U.S. Au loin le cri d’une hirondelle, suivit d’autres encore plus folles et non moins belles…en été le ciel rentre tard, et mon tartare va tourner, je dois y aller.
Debout et dans le noir de ma salle de bain,
à la lueur d’un contre-jour d’automne, je me lave les mains…
Savon d’amande, eau froide et serviette rouge, l’obscurité sied à mon shampooing.
A côté non loin du lavabo des radios m’annoncent l’heure, midi petit pois carottes,
ou jambon frites au bas du bar tabac du Corvisart, pmu de son état, le mien déclinant sa brouette sur un hiver périphérique. A la carte un pichet rose, au verre un ballon, trois euros. Vichy amidonné, la table au carré et la chaise vide pour unique interlocuteur, pas le genre à vous donner le tiercé dans le désordre, il acquiesce au courants d’air et moi de comparer les entrées froides je nous propose un museaux aux herbes.
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